Le cheval "normal"

Publié le par La Comédie Equestre

Le che



                    Lorsque l'on regarde un cheval, l'évaluation visuelle que l'on va faire de lui concerne principalement son physique. Il s'agit de vérifier si le cheval est bien bâti, s'il ne présente aucune tare ou faiblesse qui nuirait à son usage, s'il a de belles allures et éventuellement un bon coup de saut. Tout au long de ce type d'inspection, c'est essentiellement le corps du cheval qui concentre toute l'attention. La tête et tous les éléments qui composent cette dernière sont considérés comme secondaires et peu importants. Le caractère n'est quant à lui envisagé que lorsque le cheval présente des handicaps comportementaux qui peuvent nuire à l'usage souhaité. En réalité, le cheval idéal est celui qui possède un physique correspondant à la pratique à laquelle il est destiné et qui est gentil.

                   Mais qu'est-ce qu'un cheval gentil? Un cheval gentil est un cheval qui ne va pas embêter son cavalier, qui ne va jamais s'opposer ni résister et qui va se laisser faire sagement et silencieusement. La plupart des chevaux sont gentils et sont d'ailleurs éduqués de manière à le devenir s'ils sont un peu expressifs lorsqu'ils sont jeunes. Ainsi, lorsque vous fréquentez un centre équestre, vous pouvez observer de nombreux chevaux gentils, qui se laissent caresser passivement, que vous pouvez brosser tranquillement sans qu'ils ne bougent et sans jamais qu'ils ne tournent la tête vers vous , et vous trouvez évidemment cela normal. De même, vous pouvez les seller et les brider sans aucun problème et toujours sans aucun regard de leur part, et vous pouvez trouvez encore et toujours cela normal. Puis vous emmenez ces chevaux sur le lieu d'exercice et ils vous suivent docilement, d'autant qu'on vous aura expliqué que pour qu'un cheval vous suive, il ne faut pas non plus que vous le regardiez, sinon il s'arrêterait. Puis, après la séance d'équitation, vous pourrez continuer à vous occuper de ces gentils et sympathiques chevaux, leur doucher les pieds, les brosser, les faire brouter, mais toujours sans croiser réellement leur regard.

                  En fait, vous aurez passé du temps avec un être vivant que vous aurez côtoyé mais avec lequel vous n'aurez réellement rien partagé. Vous l'aurez utilisé, vous vous serez occupé de lui, il s'est gentiment laissé faire car c'est ainsi qu'il a été dressé, mais... qui est cet être vivant, celui-là précisément que vous avez monté? Qu'a-t-il ressenti? Comment a-t-il vécu la séance? Qu'a-t-il pensé de ce qu'on lui a fait faire? A-t-il pris plaisir au travail? S 'est-il ennuyé? A-t-il peut-être eu des difficultés? Lesquelles? Quand? A-t-il eu peur ou mal? Comment a-t-il réagi à vos caresses? Et d'abord, a-t-il réagi à vos caresses ou est-il là aussi resté imperturbable, inerte et impersonnel? Que savez-vous en fait de cet être appelé cheval et que vous avez côtoyé pendant un heure ou deux? Que vous a-t-il révélé de lui-même? Il a été « gentil », oui, on lui a appris à bien se tenir et il est devenu « normal ». Mais est-ce vraiment normal de la part d'un individu vivant de se transformer en objet d'utilité ou de loisir, objet, donc inerte car interdit de pensée personnelle, d'initiative, d'autonomie, d'expression. Eh oui, mais où irait-on si on laissait les chevaux s'exprimer! Ainsi donc, les chevaux apprennent à intérioriser leurs sentiments, leurs émotions et leur personnalité. Ils se referment, se replient sur eux-même et éteignent leur regard qui devient terne et inexpressif. En réalité, ils s'inscrivent aux abonnés absents et tout le monde trouve cela absolument « normal ». Cela permet d'avoir moins de problèmes et contribue à conforter les humains dans l'idée que le cheval est un animal sympathique mais plutôt bête, quoique doté d'une excellente mémoire. Et personne ne s'étonne donc de l'attitude passive de la plupart des chevaux face aux humains, les chevaux réactifs étant d'ailleurs rapidement matés pour rentrer dans le rang.

                    Si vous en avez l'occasion, je vous invite à aller vous promener sur un marché au bestiaux, « rayon chevaux », et à observer non pas les corps mais les têtes, et plus particulièrement les yeux, et à chercher s'il vous est possible de trouver un regard. Des yeux, vous en trouverez des dizaines, plutôt semblables, plutôt éteints, parfois effrayés, souvent perdus. Avec un peu d'observation et d'attention, vous trouverez des choses dans ces yeux: de la tristesse, de la résignation, de la soumission, de la peur ou de la douleur parfois. Puis, essayez de croiser un regard de cheval. Vous vous rendrez vite compte de la rareté et de la fugacité d'un regard. Ces chevaux-là sont absents, rentrés en eux-mêmes pour se protéger et supporter des situations psychologiques difficiles. Ils offrent leur corps, ils n'ont pas d'autre choix, mais ils protègent leur âme.

                  Cela peut choquer certaines personnes que je puisse utiliser ce mot d'âme en parlant d'animaux. Mais d'abord, est-il scientifiquement prouvé que les animaux n'ont pas d'âme, et ceci, bien sûr, sans conotation religieuse? Et ensuite, comment résumer l'ensemble des caractéristiques particulières et du potentiel mental et psychique particulier d'un individu qui constituent toute sa personnalité propre à lui-même, bien individualisée de celle des autres, avec des pensées précises, de la réflexion, des capacités d'initiatives, de raisonnement, des émotions, des sentiments, etc...? Ce n'est pas parce que les humains ont choisi d'éteindre les chevaux par commodités que les chevaux sont effectivement des animaux éteints.

                   Et l'utilisation du mot âme pour les chevaux n'appelle pas non plus à l'anthropomorphisme. Il ne s'agit en aucun cas d'assimiler le cheval à un humain. Il est cependant raisonnable et utile de s'interroger sur le nombre importants de points communs qui sont ceux de nombreux êtres vivants, tels que la consitution physique et biologique avec un sang rouge quelques soient les espèces, mais aussi des émotions communes (joie, peur, attachement, orgueil, jaousie,etc...) et des ressentis identiques notamment en matière de douleur et de souffrance.

                    Et pour en finir avec l'âme, n'oublions pas que pendant longtemps, il était communément admis que les femmes en étaient dépourvues, et rappelons nous aussi que jusqu'au 19ème siècle, les personnes de couleurs était considérées comme de race inférieure, des « créatures humaines » reléguées au rang de l'animal et traitées comme tel. L'âme, c'est la vie, cette étincelle qui existe au coeur de tout ce qui vit, étincelle que les humains étouffent et choisissent d'ignorer en ce qui concerne bon nombre d'animaux, dont évidemment les chevaux.

                  Un cheval normal est en réalité celui qui a été préservé, qui n'a pas été formaté. C'est un individu vivant, éveillé, au regard pétillant, franc et intéressé, exprimant ses pensées, capable d'utiliser de nombreuses facultés intellectuelles qu'il possède, apte à la communication, doté d'humour et d'imagination, exprimant ses émotions et ses affections. Un cheval normal est un être vivant qui a été respecté en tant qu'individu, éduqué mais non « dressé ». Rare mais à découvrir!

 

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B
Je partage votre vision des choses. Bientôt si tout va pour le mieux il me sera possible, enfin, d'adopter un jeune cheval pour son bonheur et pour le mien. J'ai cette envie de tout reprendre à<br /> zéro avant toutes ces années perdues en club où j'ai le sentiment de n'avoir rien appris. J'ai même honte d'avoir participé à cette supercherie. Merci de savoir dire les choses comme elles sont.
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C
<br /> Mais que ce texte est bien écrit, sans prétention aucune, j'aurai voulu l'écrire moi-même! avec votre permission je vais le partager parce qu'il dit toute la VERITE sur nos rapports d'homme à<br /> cheval...je continue de parcourir votre blog. A très bientôt pour les coms. Magali<br /> <br /> <br />
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