Agir autrement avec un cheval "difficile"


 

                       Les chevaux prétendus difficiles m’ont toujours attirée et passionnée car ce sont des chevaux qui ont des choses à dire. Je ne les ai jamais regardé comme des chevaux réellement méchants. Evidemment il faut faire très attention en les approchant car ils peuvent être potentiellement dangereux dans leurs réactions. Ce n’est pas pour autant qu’ils sont à fuir, bien au contraire en ce qui me concerne. Personnellement, je considère les chevaux difficiles comme des chevaux blessés, meurtris, et en très grande souffrance. Bien loin de les voir comme des chevaux caractériels, pour moi, ils sont plutôt fragiles et très sensibles, et surtout, ils n’ont absolument rien compris aux humains qu’ils considèrent en permanence comme des agresseurs. De leur point de vue à eux, il me semble que ce serait plutôt les humains qui seraient à considérer comme des méchants.

                      Lorsque je commence à m’occuper d’un tel cheval, je vais dès le début provoquer la surprise chez lui. Cela consiste pour moi à me présenter à lui et à lui montrer que le mode de fonctionnement entre nous est différent de ce qu’il a connu jusqu’à présent. Ma position est droite, calme et paisible. Mes gestes sont mesurés et posés, il n’y a aucune brutalité et aucun cri. Mon attitude est paisible et sereine, même si intérieurement je reste évidemment sur mes gardes et que je l’observe sous toutes les coutures pour pouvoir le « lire » en profondeur. Je ne réponds à aucune de ses provocations physiques qui auraient pour but de m’intimider. J’adopte donc une attitude neutre qui lui est inconnue. Première surprise pour lui. La deuxième surprise vient du fait que le moment que nous allons passer ensemble, en général au pansage pour commencer, je vais tenter de le rendre très agréable pour lui. Un tel cheval n’est généralement pas enclin à apprécier les caresses, la main de l’homme étant une agression sous toutes ses formes. Ce n’est donc pas ainsi que je vais m’y prendre. Je vais user d’une corde sensible encore intacte, la gourmandise. Je dis intacte car généralement ces chevaux-là ne sont jamais récompensés ou réconfortés par des friandises. Ils ne connaissent que cris et brutalités. Le pain dur ou la carotte représentent alors de précieux outils de travail dont il serait stupide de se passer.

                        Je vais commencer par m’occuper du cheval en lui parlant afin qu’il s’habitue à ma voix à laquelle je vais donner des intonations particulières, que je veux à la fois apaisantes et gentilles mais qui laisse percevoir ma « force » et qui lui fasse comprendre que je suis désormais son « chef », mais sans aucun cri ni haussement de ton, à aucun moment, et cela quelles que soient ses attitudes. La notion de chef est très subtile. Etre chef avec un cheval ne revient pas à s’imposer physiquement mais à se faire accepter mentalement. Etre chef est un état d’ « être ». Je vais affirmer cet état d’  « être » par ma voix, mes intonations et tout mon comportement. Mon but est bien de me faire reconnaître en tant que chef, mais un chef bienveillant dans lequel le cheval peut avoir une confiance pleine et entière.

                      Tous mes efforts vont être aussi orientés vers un seul objectif : surprendre le cheval. Je vais alors le solliciter de différentes manières, selon son propre comportement, et je vais répondre à ses réactions, mais d’une autre manière que ce qu’il connaît. En général, dès que l’on demande quelque chose à un tel cheval, il manifeste de la mauvaise humeur, se sentant perpétuellement agressé. Je choisis donc d’ignorer ses manifestations d’humeur pour me concentrer uniquement sur l’obtention des réponses positives à mes demandes. Au début, mes demandes peuvent être extrêmement simples. Par exemple, un cheval qui est très perturbé par la présence de l'homme, peut commencer à s'agiter dès qu'on l'approche. Une simple main posée avec l'obtention de l'acceptation du cheval pendant quelques secondes d'immobilité sont déjà un bon début, qui me permet d'entamer un nouveau système d'échange avec ce cheval. De toutes façons, il est impossible d'être immédiatement très exigent avec ces chevaux là. Il faut toujours commencer d'abord par reconstruire une base de fonctionnement solide avant de vouloir aller plus loin.

                      Dès que j’ai obtenu une réponse, même partielle ou maladroite, mes intonations lui font connaître ma satisfaction et je le félicite vivement pour son action positive tout en le récompensant par une friandise. Je peux vous assurer que la surprise est alors totale. Et je continue ainsi pendant un petit moment encore, toujours en observant et en analysant le cheval, avec comme objectif de lui permettre d’associer les éléments « demande- réponse- récompense », ce qui est nouveau pour lui et qui le fait s’interroger profondément. Les premières séances sont assez courtes et j’y mets fin avant que le cheval ne se soit complètement installé dans ce nouveau fonctionnement. Je le laisse volontairement avec des interrogations qui vont susciter sa réflexion lorsqu’il sera seul et dont je recueillerai invariablement les fruits lors de la séance suivante.

                      Peu à peu, je vais établir une relation très privilégiée avec ce cheval qui va se transformer et s’ouvrir avec moi. Nous allons écrire ensemble une nouvelle histoire dans un nouveau livre. S’il a longtemps été perturbé, son attitude de rejet et de défense peut persister encore un certain temps avec les autres humains, mais elle va s’atténuer progressivement à condition que toutes agressions humaines, verbales ou physiques, cessent définitivement. Il s’agit encore pour moi d’aller parfois plus loin si l’on souhaite rendre le cheval agréable à la monte. Là aussi tout un travail de diagnostic est à établir au niveau de son physique qui peut présenter certaines caractéristiques ou faiblesses génératrices de douleurs et donc de défenses, mais aussi en matière d’équitation, les embouchures trop dures et enrênements divers ayant souvent contraints douloureusement le cheval et parfois modifié gravement son équilibre ou sa locomotion, engendrant à nouveau problèmes et résistances.

Enfin, il ya deux règles à respecter qui sont primordiales avec ce genre de chevaux: la première concerne le temps et la seconde concerne les objectifs à atteindre.

                       Plus le cheval a été profondément marqué par son passé, plus il faudra de temps pour le récupérer. Cela pourra prendre au mieux quelques semaines, mais aussi parfois plusieurs mois, voire plusieurs années. Quant aux onjectifs, il vaut mieux ne pas être trop ambitieux car là aussi, les résultats dépendent fortement de l'intensité et de la durée des situations difficiles vécues par le cheval précédemment. En fait, la priorité doit être le respect total de ce cheval-là. Sa réhabilitation doit être faite pour lui et non obligatoirement pour une nouvelle utilisation personnelle. Peut-être sera-t-il entièrement récupérable mais il faut accepter éventuellement des restrictions importantes dans le domaine des exigences. De toutes manières, patience et amour sont les maîtres-mots de la réussite.

 

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